L’abricot rouge du Roussillon
Trésor du Midi
Sa culture est aussi confidentielle que sa saveur extraordinaire.
Le rouge du Roussillon est le seul abricot à bénéficier
d’une AOP en France. Voici les secrets de ce petit trésor sucré.
Texte de Marine Couturier
Du champ à l’assiette
Du soleil, du vent et ce qu’il faut de savoir-faire : depuis plus de dix siècles, l’abricot a trouvé un terroir de prédilection dans le vaste amphithéâtre naturel de la plaine du Roussillon, où les vergers bordent les routes à perte de vue. La saison de la récolte bat son plein et la tentation de s’arrêter cueillir l’une de ces douceurs emplies de sucre est forte. Ici, sa culture s’est développée au début du xixe siècle, les Pyrénées-Orientales étant le premier département producteur en France au début des années 1970. Pour ce fruit endémique, la consécration est venue en 2015 avec l’obtention de l’AOC abricots rouges du Roussillon, transformée l’année suivante en AOP. Depuis la bordure de la Méditerranée jusqu’aux contreforts du Canigou, à 450 mètres d’altitude, l’aire géographique de l’appellation regroupe 100 communes du département.
Du soleil et de la douceur
C’est dans celle de Claira, au nord-est de Perpignan, que Henri Berga, fils et petit-fils de viticulteurs, a acheté il y a une trentaine d’années ses premiers vergers. Quelques années plus tard, son frère François ajoute deux hectares supplémentaires en lui laissant le soin de son exploitation – en prêtant main-forte dans les champs si nécessaire. Le Bougariu, du nom du ruisseau qui jouxte la propriété, est une petite EURL familiale de sept hectares d’abricotiers, dont deux répondent aux exigences de l’AOP. « L’emplacement est idéal, dans la plaine alluviale de la Salanque, à quelques kilomètres de la mer, où le risque de gel est plutôt faible. L’abricot a besoin d’ensoleillement et de la douceur de l’influence maritime pour se développer, sans trop d’eau. Mais cette année, le manque a vraiment été criant », se désole François Berga. Au printemps, l’arrosage n’a été que de trente minutes tous les deux jours, au lieu des deux heures quotidiennes habituelles. Résultat : les fruits sont restés petits et ont davantage de mal à se vendre à la coopérative.
Quatre variétés dans l’AOP
Pour bénéficier de l’AOP, l’abricot rouge du Roussillon doit répondre à une charte bien précise. La variété fait partie de ces critères, quatre seulement pouvant bénéficier de l’appellation. L’historique est le rouge du Roussillon, qui représentait dans les années 1970 plus des deux tiers des surfaces cultivées dans les Pyrénées-Orientales. Malgré son bon goût très sucré avec sa pointe d’acidité, qui fait notamment des merveilles en confiture, cette variété a été un temps boudée par les consommateurs à cause de sa petite taille, son manque de croquant et de jus. L’Inra en a alors sélectionné trois autres à partir de cette première : Héléna du Roussillon, Royal Roussillon et Gâterie. Toutes ont des typicités organoleptiques similaires et spécifiques : une couleur de fond orangée avec des ponctuations rouge vif, un calibre plutôt petit, des arômes intenses de fruits frais, une saveur sucrée et une texture souple. Sur leur exploitation en AOP, les frères Berga ont fait le choix de ne produire que des Héléna et des Royal, à parts égales : « Ces deux variétés ont l’avantage d’avoir des fruits d’un calibre un peu plus important, et comme elles ne mûrissent pas en même temps, cela nous permet d’étaler la récolte sur un bon mois », précise François.
Récolte et calibrage manuels
Depuis la mi-juin, la récolte a démarré au Bougariu. Tôt le matin, pour éviter les chaleurs écrasantes, les équipes de cueilleurs investissent les vergers, passant d’abricotier en abricotier pour surveiller avec attention la maturité des fruits et cueillir ceux qui le nécessitent, sous le regard de François Berga, qui participe aussi à l’effort collectif. « On commence par la variété Royal qui est la première à être prête. Les fruits les plus mûrs sont destinés à la vente directe sur l’exploitation, alors que ceux qui partent à la coopérative ont un degré de maturité moindre, car ils doivent pouvoir être gardés entre huit et dix jours. » En général, quatre passages sur chaque arbre du verger sont nécessaires pour ramasser l’ensemble des fruits. Dans cette petite exploitation, le calibrage de ceux vendus sur place est ensuite fait à la main, dans les heures suivant la cueillette, les saisonniers ayant l’expérience du produit. L’essentiel de la production est cependant destiné à la coopérative et les abricots sont stockés dans une petite chambre froide en attendant leur départ vers l’intérieur des terres. Cette organisation n’est cependant pas automatique, les caprices du climat venant, certaines années, bouleverser l’organisation bien rodée des producteurs catalans, comme l’explique le copropriétaire du Bougariu : « L’année dernière, les fortes pluies du mois de mars et le gel du mois d’avril ont fait chuter la récolte. Elle a été si petite que rien n’est parti à la coopérative et que tout a été pour la vente sur place. »
Une confiture royale
Dans quelques jours et jusqu’au 20 juillet environ, ce sera au tour de l’abricot Héléna d’être ramassé, légèrement plus pâle que le Royal. En attendant, les acheteurs, habitués et touristes de passage, sont déjà nombreux à faire un arrêt dans la petite cabane à deux pas des vergers pour repartir avec quelques abricots du Roussillon. Certains, venant de la région toulousaine et montpelliéraine, n’hésitent pas à faire plusieurs centaines de kilomètres pour s’en procurer et repartir avec le coffre rempli de jolies sphères orangées. « Beaucoup recherchent ce fruit pour le cuisiner en confiture, et il n’est pas nécessaire de se tourner pour cela vers les produits déclassés, même si on en propose. Il faut sortir de l’idée que ce type de transformation se fait avec les fruits qui risquent d’être gâchés. Une bonne confiture est avant tout réalisée à partir de fruits de qualité », plaide François Berga. L’homme sait de quoi il parle : avec sa femme, il réalise une quarantaine de kilos de confiture par an pour leur consommation personnelle, mais aussi la famille et les amis. Leur préférence va à la variété Héléna, moins acide et plus douce que la Royal, mais le propriétaire de vergers l’assure, « tout cela n’est qu’une question de goût ». Quant aux fruits ayant été acheminés à la coopérative, une large partie est destinée à la transformation, car la commercialisation en produit frais sur le marché industriel reste encore très confidentielle. Elle existe cependant, les producteurs de la jeune AOP mettant tout en œuvre pour que celle-ci soit présente sur la France entière. Les abricots se reconnaissent facilement grâce à la mention de l’AOP abricots rouges du Roussillon sur les barquettes et cageots, mais il faut faire vite : une fois passée la mi-juillet, il est presque déjà trop tard pour se procurer cette petite douceur.
« Une bonne confiture est avant tout réalisée à partir de fruits de qualité »
DÉCLINAISONS EN CUISINE
Au Bougariu, on n’hésite pas à croquer dans un ou deux abricots ramassés directement dans l’arbre. Mais pour encore plus de gourmandise, on enfile son tablier pour suivre l’une des recettes de Mamy Gaby. Il y a bien sûr l’excellente confiture faite avec 3 kg d’abricots bien mûrs pour 2 kg de sucre cristal, mais, pour un peu plus de croustillant, on se lance dans une tarte aux abricots et amandes qui fait des merveilles en dessert. Pour varier du traditionnel clafoutis à la cerise, on opte pour une version aux abricots, terriblement fondante ! Si l’on souhaite un rapide retour en enfance, le gâteau au yaourt et abricots est tout indiqué, quand on n’hésite pas à se lancer dans un autre gâteau, mais au beurre salé celui-ci, si l’on dispose de gros abricots découpés en oreillons. Alors, quel est votre choix ?
Le rouge du Roussillon est le produit star du domaine du Bougariu, cultivé depuis une trentaine d’années par Henri Berga.
CARTE D’IDENTITÉ
• RÉCOLTE DE MI-JUIN À FIN JUILLET
• RECONNU PAR UNE AOC EN 2015 ET UNE AOP EN 2016
• RICHE EN FIBRES, POTASSIUM, VITAMINE C ET BÊTACAROTÈNE
• 4 VARIÉTÉS : ROUGE DU ROUSSILLON, HÉLÉNA DU ROUSSILLON, ROYAL DU ROUSSILLON ET GÂTERIE
Marine Couturier
Journaliste
Téléphone : 06 25 27 01 47
Email : couturier.marine@gmail.com
Site Internet : marinecouturier.com
Linkedin : Marine Couturier